Amours, délices et magazines

Aujourd’hui, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres le premier numéro de mon abonnement au magazine The New Yorker. Probablement en panne de lectorat traditionnel (c’est-à-dire celui qui aime tourner des pages en papier), l’éditeur offre ces jours-ci à ses amis Facebook un abonnement de douze semaines à douze dollars. Comment pouvais-je refuser?2017_07_31

En reconnaissant la police de caractères « New-Yorkaise » qui dépassait de ma vieille boîte, j’ai eu le même frisson de ravissement que me procurait la vue du magazine français Quinze ans, dans mes jeunes années. À l’époque, les publications européennes nous parvenaient quelques mois après leur parution, comme si l’éditeur les avait expédiées sur le même bateau que la poudre à canon, les chevaux, le chocolat et le lin.

J’ai connu une longue, très longue histoire d’amour avec les magazines, au point d’y avoir consacrer quatorze ans de ma carrière. Bien avant l’université, je frémissais de bonheur au contact du « papier magazine » saturé d’encre et dont les pages collaient ensemble sous l’effet de je ne sais quelle électricité statique. L’odeur du papier et de l’encre, que je sniffais comme une ligne près du pli central, correspondait parfaitement à mon idée d’un fix. Entre deux livraisons de Quinze ans, qui représentait à mes yeux de fillette le summum du genre, Vidéo-Presse, Pif Gadget, Salut les copains et autres OK faisaient office de pâles adjuvants.

J’ai de qui tenir. Entre deux boires, une fournée de biscuits et trois brassées, ma mère trouvait dans les magazines de salutaires fenêtres sur le monde. Dans ces villes lointaines que nous avons habitées, la presse féminine mensuelle lui tenait compagnie mieux que les chums de femmes qu’elle laissait peut-être derrière elle en déménageant. Chaque fois, les abonnements suivaient, bien qu’avec un peu de retard. L’inévitable engorgement postal qui suivait poussa même un facteur mal engueulé, un jour de livraison particulièrement costaude, à sonner chez nous pour enguirlander maman sur la question : « Vous en recevez donc ben, de c’te cochonnerie-là! » Devant ma mère, grosse de huit mois, il s’était fendu d’une démonstration : « Pesez mon sac! » Cinquante-cinq ans plus tard, l’anecdote la laisse encore ahurie.

J’ai connu l’âge d’or du magazine, et je n’ose penser au fric que j’y ai consacré. De mon époque déco à ma période santé, et entre toutes les publications de la marge aujourd’hui disparues ou rentrées dans le rang, je me demande où je trouvais le temps de faire autre chose. Et puis au tournant du siècle, j’ai cessé d’en lire, comme Forest Gump cesse de courir.

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L’intelligence du Mirabella me manque encore, dix-sept ans après sa disparition.

J’ai eu une peine d’amour du magazine, que les annonceurs et les scores du PMB* l’ont transformé en pute qui montre trop ce qu’elle a à vendre pour donner envie d’aller plus loin. De temps à autre, j’en feuillette un chez ma mère dans l’espoir de rallumer la flamme. J’ai cessé d’espérer le jour où j’ai tenu un numéro — envoyé gracieusement par l’éditeur — dont aucun texte ne dépassait une page, photo et titre compris. Tant d’énergie consacrée à produire tant de rien.

Puisque je n’aurai pas le temps de lire une livraison du New Yorker par semaine, je prévois que mon abonnement de trois mois me procurera du carburant au moins jusqu’aux fêtes.

J’ai peut-être les facultés affaiblies par l’anticipation, mais je crois que c’est le début d’une merveilleuse relation.

 

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Au tournant de juillet, je m’offre encore – en souvenir du bon vieux temps – une razzia de toutes sortes d’affaires.

 

*PMB : Print Measurement Bureau, devenu Vividata.

Photo à la une : Utne Reader, à l’époque où je l’attendais chaque mois.

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