Une fugue au nord de Crémazie

Aujourd’hui, j’ai assisté à un concert de musique baroque dans un atelier de couture du boulevard Saint-Laurent. Pas le boulevard Saint-Laurent du chic Plateau ou du Mile-End hipster, ni celui de la petite Italie ou de Villeray.

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Photo: Jacques Lebleu

Non, je parle de la portion la plus reculée de Saint-Laurent, l’ingrate, située au nord de Crémazie et de l’autoroute métropolitaine, qui sépare l’arrondissement Ahuntsic des autres quartiers de Montréal.

Pour de nombreux Montréalais des quartiers centraux, le monde tel qu’ils le conçoivent s’arrête aux abords des voies rapides que les urbanistes des années 1950 et 1960 ont sottement imaginées pour faciliter la circulation. Il y a quelques années, un chroniqueur de La Presse avait déploré dans les pages de son canard que Mountain Equipment Coop (MEC) ait choisi d’installer son vaisseau amiral montréalais au Marché Central, situé dans le quartier Ahuntsic, ce qu’il considérait comme « le bout du monde ». On se trouve toujours au bout du monde de quelqu’un.

Mon mari et moi nous sommes donc rendus à pied jusqu’à cet atelier de couture, où des façonniers de métier réalisent les idées que leur confient d’éminents designers québécois. En poussant la porte de l’immeuble industriel qui l’abrite, j’ai eu l’impression de fouler un territoire interdit. Une autre faune que la mienne occupe ces lieux.

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Malgré la lourdeur de cette chaude soirée, les immenses fenêtres de l’atelier haut perché laissaient entrer une bonne brise, en même temps que le vrombissement des avions en descente vers Dorval et la rumeur des trains de marchandises qui longent l’avenue Port-Royal, juste à côté.

Les accords du violoncelle et du clavecin prenaient, sur cette trame visuelle et sonore, une couleur presque cinématographique. Ce « tissu baroque » – titre du concert – montrait d’émouvante façon que la beauté peut supplanter la laideur, la mécanique et le prosaïsme de l’industrie. Il fallait de l’audace pour pressentir le potentiel de la musique baroque à s’installer dans pareil décor. L’œil d’une artiste-peintre ou d’un photographe se serait peut-être attardé sur ce mannequin à demi vêtu qui, dans l’ombre, semblait goûter les sonates de Schieferlein, ou sur ce ruban que la brise du soir faisait valser. La poésie ne fleurit pas toujours où on croit la trouver.

L’édition 2017 d’Ahuntsic en fugue se déroule du 12 au 18 août. Détails au jour le jour ici.

Photos: Jacques Lebleu, avec l’autorisation d’Ahuntsic en fugue.

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