Parce qu’entreprendre l’écriture d’un deuxième roman demande un élan et des exercices de réchauffement, je fais de cette page un terrain nouveau pour garder la main. Et aussi, il faut bien le dire, parce qu’il arrive que cent cinquante mots soient tout ce que le cœur arrive à produire en une journée ou une semaine.

L’exercice : écrire en cent cinquante mots mon sentiment sur un sujet choisi par moi ou suggéré par vous. L’invitation est lancée!
Écrivez vos suggestions en commentaire, et je les mettrai sur la pile. Par les temps qui courent, je ne me connais pas de meilleure stimulant.
Johanne
Design graphique: Michel c. Tremblay
Le biscuit soda
Depuis la prime enfance jusqu’au soir de la vie, il trompe la faim, dépanne et fait l’affaire quand plus rien ne passe. J’ai nommé l’indémodable biscuit soda.
Non, craquelin n’exprime pas ce qu’il est, lui, pareil à nul autre, avec sa face blême et perforée, son cœur friable et ses trois grains de sel qui mettent en valeur le beurre de pinotte. Sous une Single de Kraft avec ou sans confiture, écrapouti au-dessus d’une soupe trop claire ou tout nu ben ordinaire quand l’estomac menace de s’autodigérer, il est indissociabe de l’expérience humaine en Amérique. Les filles allumettes savent qu’à treize calories et zéro gras, le biscuit soda est la consolation par défaut des trop mauvais jours.
Au bout de la prochaine semaine d’abus alimentaires et de bombance, d’un océan à l’autre de ce pays, on entendra je vous le garantis : Sais-tu quoi? J’vas juste prendre quelques biscuits soda.
Notoriété
Un jour pas lointain, il n’y aura plus de cordonnier. Y a rien de glamour à réparer des souliers. Dans les restos, des serveuses-automates seront les nouvelles femmes de Stepford. Les derniers peintres du dimanche bricoleront des images instagrammables en s’étonnant de ne pas y avoir pensé avant.

Bientôt, des écoliers apprendront à commercialiser leur binette pour que demain leur moindre pet puisse nourrir leur célébruité. Il faut, après tout, faire du bruit autour de soi pour que tôt ou tard, quelqu’un se retourne. Le vent a la cote.
La notoriété, cette valeur refuge, crée d’autres sortes d’emploi : faiseurs d’images, vendeurs de saucisses, influenceuses, relationnistes et autres femmes-sandwich. Elle engendre aussi des expos qui ne méritaient pas le détour, des livres qui vous tombent des mains, des séries-télé dont on se demande c’était quoi le pitch, des jardiniers qui se prennent pour Moïse et beaucoup de bruit pour rien.
Habitudes
Le plus difficile, dans un déménagement, n’est pas de faire et défaire des cartons, mais de perdre ses habitudes.
Je ne suis pas de celles qui associent les habitudes à la routine ou au manque d’originalité. Les automatismes qu’elles créent laissent à mon esprit les coudées franches pour faire ce qui m’intéresse vraiment plutôt que de chercher où j’ai rangé le sucre. Du latin habere, tenir, l’habitude est un uniforme (un habit) qui m’enlève le souci de choisir quoi mettre à chaque instant du jour. Je tiens à mes douces habitudes.
C’est dire à quel point chaque mise à jour technologique censée me faciliter la vie me la complique. À quoi pensent-ils, ces développeurs qui décident de modifier les menus que j’utilise au quotidien, de déplacer des commandes que je faisais jusqu’ici les yeux fermés? Chaque fois, je dois remettre des petits bouts de pain rassis pour retrouver mon chemin.
(27-11-22)
Conformisme
La conformiste a été éduquée dans le respect des règles. On lui a appris qu’elles sont le rempart contre le chaos et le délitement des sociétés. Elle suit les règles parce qu’elle ne saurait faire autrement, que celles-ci aient force de loi ou qu’elles se résument à une cordelette fermant l’accès à une jolie plage ou à une affichette Ne pas toucher dans un magasin de porcelaine.
La conformiste aimerait bien, parfois, faire fi des conventions, mais elle en est incapable. Ses envies de canaille sont menottées par le fil invisible de la bienséance. Aussi en veut-elle aux personnes qui choisissent de contourner ou d’ignorer les règles qu’imposent ceux dont elles ne reconnaissent pas l’autorité. Ces tricheuses, comme elle les appelle, occupent les meilleures places, pique-niquent dans les zones non permises et s’amusent ferme sans se soucier de déranger les autres.
Car au fond, qui dérangent-elles à part les conformistes?
(2-11-22)
Fin de saison
Je ne connais personne qui pleure la fin de l’hiver ou celle de l’automne. Les pluies maussades des jours courts de novembre ne font dire à personne « pourvu que ça dure ». Et qui, en mars, se désole devant un banc de neige noire qui fond?
Dissoute dans l’effervescence de la belle saison, la fin du printemps passe plus inaperçue qu’une sexagénaire dans un centre commercial. Dehors, les fleurs de mai se mêlent sans formalités à celles de juin avant de prendre congé dans l’indifférence générale.
Le glas de l’été, lui, est une sentence récurrente. La fermeture des potagers, des terrasses, des fenêtres et des chalets martèle l’inexorable course du temps. Et chaque prolongation enivre comme un cachet d’ecstasy. On aura beau faire sécher ou congeler tout ce qui rappellera les beaux jours, rien ne peut nous préparer à la pluie verglaçante ou à la glace noire de février.
(25-10-22)