Je n’ai jamais été très chien.
Je n’y suis pour rien. Dans les maisons de mon enfance, comme dans celles où ont grandi mes parents, on traversait les après-midi d’ennui entre humains et on épanchait nos chagrins d’amour dans un journal intime ou un oreiller. Je n’ai connu mes premiers chiens qu’à l’adolescence, chez mes amies dont les Cookie, Pompon et Farouk m’indifféraient, au mieux, ou me tombaient sur les nerfs. Quant aux chiens des familles dont je gardais les enfants, ils me semblaient manquer d’amour propre, toujours prêts qu’ils étaient à s’éjarrer à la moindre caresse. Ne pouvaient-ils se laisser poliment gratter le derrière des oreilles comme les chats? Je les envoyais généralement passer la soirée au sous-sol jusqu’au retour de leurs maîtres.
Lassie? Le Vagabond? Macaire? Je n’en ai jamais rien pensé.
Je vous imagine trop bien, lisant ceci, en train de me classer dans le camp des sans-cœur et vous disant que des gens comme moi sont le ferment des conflits de clôture et des guerres mondiales. Mes amis pourront attester que j’ai d’autres belles qualités. Je composte mes épluchures de concombre, j’utilise volontiers les transports collectifs et je casque sans broncher le prix stratosphérique que commande un shampoing en pain zéro déchet.
Des circonstances particulières nous ont amenés, mon mari et moi, à emménager récemment dans une ville où tout le monde, ou presque, est très, très chien. Dès que je sors faire une course, je croise au moins cinq clébards et leurs maîtres. Dans cette ville très anglo que j’habite, des arbres sont plantés en mémoire de chiens qui ont trépassé après une quinzaine de Noëls célébrés en famille ou auprès d’une vieille douairière. Les parcs canins y sont plus joliment aménagés que certains espaces verts des quartiers Ahuntsic ou Rosemont. Ça m’impressionne. Je n’ai jamais vu, ailleurs qu’ici, tant de chiens vêtus de manteaux ou de pyjamas (les pauvres) et chaussés de bottes dès les premiers flocons. Il m’aura donc fallu plus de cinquante ans pour comprendre que l’amour du chien est affaire de culture bien plus que de prédispositions génétiques ou morales.
J’ai connu sur le tard quelques histoires d’affection canine. Je garde un souvenir attendri d’un certain Balzac (qui repose en paix) et, récemment, de Viviana, la précieuse compagne de ma cousine, qui l’a sauvée d’une existence misérable et de tiques costaricaines. Vivi m’a même procuré, pendant les dix jours où je l’ai gardée (sans jamais l’envoyer au sous-sol), des moments de joie sincère que je chéris encore, trois ans plus tard. Quand, aujourd’hui, j’aperçois un chien posté devant un commerce, fixant la porte comme si le reste de sa vie en dépendait, j’envie celui ou celle qu’il espère. Un chien n’a pas besoin d’être « sauvé » pour développer cette remarquable loyauté, mais ça aide. Sur le fil d’actualité FB de mon amie Linda, j’ai bien du mal à ne pas lui envier son Agate, dont le regarde semble dire en permanence vas-t’en-pas-vas-t’en-pas-vas-t’en-pas. Adoptée à onze ans, Agate a trouvé en Linda son ultime complice, à moins que ce soit l’inverse.
Le jour où j’ai entrepris de regarder la populaire série documentaire Dogs, sur Netflix, j’y voyais une sorte de test ultime pour déterminer si j’ai un puppy intérieur qui n’attend que son heure pour s’exprimer. Si j’en ai un, il est resté bien coi et j’ai déclaré forfait au bout de deux épisodes et demi. Je ne m’émeus guère plus devant la collection d’émissions où vétos et coachs canins s’animent autour d’une ménagerie hebdomadaire. Il faut peut-être un entraînement.
Je me trompais. Des mois après en avoir terminé la lecture, je repense encore à Fifteen Dogs [Le langage de la meute, Québec-Amérique], cette extraordinaire fable d’André Alexis dont les personnages principaux, tous des chiens, doivent apprendre à vivre avec une conscience humaine que leur ont donnée des dieux désœuvrés en quête d’un bon divertissement. Pourquoi n’en ai-je pas entendu parler plus tôt? Il fallait juste m’offrir le bon canal.
De l’Américaine Ann Patchett, dont je lirais même la liste d’épicerie s’il lui venait l’envie de la publier, j’ai dévoré l’an dernier une collection composée principalement d’essais publiés dans divers magazines et réunis sous le titre This is the Story of a Happy Marriage (HarperCollins). Elle y raconte notamment sa rencontre avec Rose – un autre chien sauvé – et décrit à la perfection la lumière que sa compagne a procurée à son existence pendant seize ans.
Je sais maintenant que j’ouvrirai tôt ou tard ma porte et mon cœur à un chien, quand nous retournerons vivre à la campagne et que mon toutou aura quelques arpents de verdure à parcourir. D’ici là, j’aurai peut-être apprivoisé l’idée de m’attacher à une créature dont il me faudra vivre le deuil.
En attendant, je zieute tous les chiens qui croisent ma route en évaluant la potentielle aptitude de telle ou telle race à partager notre quotidien.
Surtout, n’en dites rien à mon mari : il n’a jamais été très « chien ».
Photos de Vivi et d’Agate : Roxanne Ducharme, Linda Roy et moi.
* Une version antérieure de ce texte a paru dans l’une des Chroniques de la Trumpélie du Sud, de Marie-Claude Désorcy.
On ne m’a encore rien dit. Son mari
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