Une éclaircie dans ton ciel obscur

Le vent, qui a soufflé une partie de la nuit, est tombé peu après l’aube. Ses emportements ont redessiné le paysage alentour, et il nous faut un instant pour retrouver nos repères. On recommence à entendre les craquements des grands troncs, qui se dandinent comme des filles ne sachant si elles s’en viennent ou si elles s’en vont. Il me semble bien que des mésanges piaillaient tout à l’heure, dans les bouleaux. Rien qu’à y voir aller la queue, je dirais que la P’tite les a entendues aussi.

Photo de Chris F sur Pexels.com

Tant mieux si cinq mésanges arrivent à remonter le moral des troupes. Ce n’est pas qu’il soit à terre, non, c’est juste que certains jours, la nuit surtout, l’ivresse de la liberté s’émousse. On dira ce qu’on voudra, l’hiver n’est pas aussi charmant que l’été ou l’automne. J’aime les silences de décembre, j’aime son froid, mais pour le reste, c’est plus d’embêtements que de joies. Et quand le vent prend fort comme hier, ça finit par user les nerfs et tromper nos sens. On s’est collées une partie de la nuit, surtout la Peureuse, qu’on a gardée au centre pour calmer son anxiété maudite. La proximité des unes et des autres a fait le travail.

Quand la Peureuse est tranquille, tout le reste s’endure. Le ciel m’est témoin : je ne suis pas d’humeur, ce matin, à entendre le chapelet de ses regrets et de ses j’aurais-donc-dû. D’abord, je vous le demande, qui n’en a pas? Même moi. On a beau m’appeler la Bosseuse, je mentirais si derrière ma tête haute et mes reins solides, j’ai pas envie, des fois, de m’abandonner aux lamentations, de taper du pied de frustration et de pleurer à chaudes, chaudes larmes.

Je préfère ne pas m’appesantir sur le sort de mes amies disparues, sur nos connivences, sur tout ce qu’on partageait rien qu’en se regardant. Rien qu’en se regardant, on savait tout. Je ne suis même pas sûre qu’elles me reconnaîtraient aujourd’hui. Après tout ce temps, est-ce qu’il s’en trouve une seule pour fredonner « Ô ma belle promeneuse pense à moi quand tu reviendras… »? Rien que de l’imaginer, ça me desserre le cœur.

Je dis « mes amies disparues », mais celle qui est partie, c’est moi. Je me répète qu’à ma place, elles auraient fait la même chose. Ce n’était pas une fuite, mais un saut vers la lumière. J’aurais fini par m’en vouloir d’être restée. Au bout d’un temps court ou long, j’en serais peut-être venue à les détester, elles qui ne m’avaient rien fait. Je mentirais si je disais qu’elles ne me manquent pas des fois.

La Grosse a proposé qu’on bouge aujourd’hui, qu’on change de décor pour brouiller les pistes. Je ne sais pas si c’est les hommes qui la préoccupent ou les coyotes. Les crisses de coyotes. Si c’était pas d’eux, je me laisserais bercer ici avec les épinettes jusqu’au printemps. Pas sûre que la Grosse connait grand-chose aux tactiques d’évitement de l’ennemi, mais je ne vais pas m’obstiner. Si toutes sont d’accord, on bougera, et au diable le reste. Pour être franche, je ne dirais pas non à un changement de décor et un peu de phragmites. On commence à s’y faire, quoique ça donne des crampes pas possibles. L’autre soir, j’ai bien pensé que j’allais exploser. Personne a promis que ce serait facile. Personne a rien promis, en fait.

Photo : Marcel Roy

Ah, pis je vais le dire : ma mère me manque. Si je ferme les yeux et que j’arrive à ralentir ma respiration, je la vois avec sa belle robe fauve et son collier bling-bling, son regard doux qui m’apaise et ma tête dans son cou. Il y a longtemps que je l’ai vue. La dernière fois, c’était bien avant l’orage. Il faut que je me la représente régulièrement sans quoi son souvenir pâlit. Mais quand je le fais trop souvent, j’ai juste envie de chialer et de m’apitoyer sur mon sort. C’est pourtant pas dans mon casting, comme dit un bélier de ma connaissance. Et puis je suis sûre qu’elle est fière de moi. Fière de nous toutes, qui avons osé choisir une autre voie que celle qu’on nous réservait. Elles sont hardies, nos mères, nos vaillantes! Ma belle, ma brave mommy!

J’aimerais dire que je l’ai fait pour elle. Que devant cette brèche dans mon destin tout tracé, j’ai foncé pour racheter ses grands respires inaboutis et briller pour deux. Mais je mentirais. J’ai juste eu envie d’être une autre, de marcher toute seule malgré les roches plus nombreuses que je pensais. J’accepte de trébucher, de me planter même. Parce qu’elle m’a dit, il y a longtemps, que je devais apprendre à ne compter sur personne. Te souviens-tu, ma belle maman?

L’Optimiste vient de me dire que les autres ont envie de bouger. Pendant que j’étais là à ruminer, elles en ont parlé, ont décidé d’aller voir ailleurs. D’après elle, l’air charrie comme une intention de redoux. Pourvu qu’elle dise vrai. J’ai dit OK, partons. Et juste à ce moment-là, le soleil est sorti des nuages. On s’est toutes attroupées sous ses trois rayons tièdes, gorgées d’espérance pour la journée qui commence. La P’tite a dit : « Toute peut pas mal aller. Si on retournait dans le bout du grand ruisseau? J’ai faim. »

À la queue leu leu, on s’est mises en route. Et pour une fois, j’ai fermé la marche.

La P’tite, l’été dernier.

2 réflexions sur “Une éclaircie dans ton ciel obscur

  1. J’aime bien tes textes, surtout quand ils dépassent les 150 mots. J’en ressors toujours le sourire aux lèvres, et avec le plaisir laissé par les chauds gloussements de rire ! Amitiés et Joie pour toi chère Johanne, salutations à Pierre-Yves !

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