Faire des crêpes

Depuis quelque mois, j’ai recommencé à faire des crêpes. Ça devait bien faire vingt-cinq ans que je m’en passais. Je parle des crêpes de ma jeunesse, celles que préparait ma mère pour dîner, le samedi.

Mélanger la farine, le sucre, la poudre à pâte et le sel. Dans un petit bol, combiner l’œuf battu, le lait, le beurre fondu.

Photo de Monserrat Soldu00fa sur Pexels.com

En doublant la recette, elle pouvait empiler une montagne de crêpes qu’elle déposait au centre de la table pour les six bouches qui savaient en faire leur affaire. Chez nous ça s’appelait des crêpes, même si les romanciers français et les magazines de cuisine préfèrent dire pancakes, pour les distinguer des crêpes fines que l’on garnit d’asperges et de jambon ou que l’on flambe avec panache. La précision laisse toujours flotter un parfum de snobisme : les pancakes nord-américains n’ont rien à voir, dit-on, avec les crêpes européennes. C’est comme vous voulez, mais chez nous, on mangeait des crêpes.

Faire un puits au milieu des ingrédients secs et y verser les ingrédients liquides tout d’un coup. Brasser vivement jusqu’à ce que la pâte soit tout juste homogène.

J’ai un très vif souvenir de la cuisson des crêpes, que j’observais avec intérêt en tentant d’estimer le meilleur moment pour les retourner. Chaque fois, ma mère attendait encore, jusqu’à l’éclatement des bubulles qui remontaient à la surface. Lorsqu’enfin, elle les retournait, le geste était sûr et la crêpe atterrissait proprement au fond de la grande poêle. Quand j’en fais, les miennes s’enfargent toujours et le côté cru, en touchant le teflon brûlant, dérape un peu : je fais des crêpes ovales, ascendant parallélépipède. Elles sont bonnes pareil.

J’ai d’innombrables souvenirs de ma mère postée devant le comptoir ou la cuisinière à préparer desserts ou repas. J’ai appris les rudiments de la cuisine par l’observation de ses gestes cent fois répétés. Je me souviens qu’elle parlait peu, tout investie qu’elle était dans la tâche.

Verser par petites quantités dans une petite poêle à frire ou cuire quatre ou cinq à la fois dans une poêle électrique. Graisser la poêle au début seulement.

Des années plus tard, je l’ai entendu dire que faire pâtisserie apaisait son anxiété. Dans la mesure où elle en faisait très, très souvent, j’ai dû réinterpréter ces moments privilégiés. Pendant que je babillais ou posais mes questions d’apprentie, elle tentait peut-être de faire silence dans sa tête ou de bloquer l’étau qui lui serrait le cœur. Et si ce que je prenais pour une économie de mots n’était au fond qu’une apnée involontaire?

Aujourd’hui, quand je prépare des crêpes, je suis les consignes transcrites de ma main de quinze printemps dans ce qui allait devenir mon premier cahier de recettes – celles du macaroni à la viande, du bœuf fiesta et des cabbage rolls – et je revois celle de maman tenant la spatule, prête à retourner les ronds de pâte trouée. Chaque fois, le souvenir prend le pas sur le présent, et les crêpes que cuisait ma mère me font oublier celles qui fument devant moi.

Laisser cuire jusqu’à ce que la crêpe soit couverte de bulles et que le dessous soit doré; la retourner et cuire l’autre côté de la même façon.

Ma mère ne sait plus dans lequel de ses livres de recettes dort celle des crêpes. Alors j’ai photographié la page de mon vieux cahier d’écolière et la traîne dans mon téléphone pour ces jours où, en revenant de faire les courses de mes parents, je leur en prépare une montagne. Les restes vont dans un Ziploc et au congélateur. Ma mère les trouve aussi bonnes que les crêpes congelées Eggo que mon père inscrit parfois sur la liste d’épicerie, mais je sais qu’elles sont bien meilleures.

Dans les miennes, il y a plein d’images.

Servir avec du sirop ou de la cassonade et du lait.

7 réflexions sur “Faire des crêpes

  1. Ce sont ces moments tout simples mais tellement pleins de bonheur éternels…. Je présume que lorsque vous y portez attention, vous ressentez un regard maternel sur votre épaule….

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  2. Ah le beau souvenir ! Chez-nous il y avait surtout des crêpes fines. C’était nos préférées, car on y étendait de la cassonnade, on les roulait et on pouvaient ainsi les manger avec nos mains. Un grand bonheur.

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  3. « Dans les miennes, il y a plein d’images. » Et tes images goûtent bon, Johanne, elles ont la saveur des liens que l’on a entretenus et entretient encore, fût-ce par les souvenirs.

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