Au cours de l’année qui s’achève, j’ai lu deux journaux que m’avaient recommandés mon amie Marie-Claude et mon mari. Parmi la multitude de romans, d’essais, de recueils de nouvelles qui me font envie et qui attendent ou non leur tour sur ma table de chevet, il s’est trouvé que j’ai consacré plusieurs heures aux journaux d’une New-yorkaise et d’un Montréalais dont je n’avais jamais entendu parler.
J’éprouve pour ce genre littéraire une affection qui m’étonne chaque fois. Entre la brique romanesque et le recueil de nouvelles, le journal est un fil d’Ariane qui m’aide à faire le deuil de la planète que je viens de quitter avant de mettre le cap vers une autre.
Je traverse chaque journal comme une relation de passage. Je lis les premières entrées poliment; l’auteur et moi ne nous connaissons pas vraiment. Chacun son verre de blanc à la main, on a à peine franchi le stade des présentations. Au bout de quelques dizaines de pages, je jongle avec trois options : larguer l’auteur, espacer nos rencontres ou m’abandonner. Ce n’est, après tout, qu’un journal. Ce n’est pas comme si l’interruption de ma lecture pour autre chose risquait de me faire perdre le fil de l’histoire.
Bien que j’aime jongler avec ces possibilités, j’opte rarement pour la première, justement parce que je peux espacer nos rencontres sans conséquence. Il suffit cependant d’un monologue qui se cherche une fin pour que je me tourne momentanément vers une autre nourriture littéraire. Je sais toutefois que je reviendrai au journal abandonné, au moins pour lui donner une seconde chance. Et ça ne rate jamais, l’auteur m’accroche à son fil dans les pages qui suivent. L’attachement qui naît alors ressemble de très près à celui que vivent deux personnes de chair et d’os. Je termine chaque journal avec une pointe de regret, comme devant une relation qui s’achève. Plus, même, puisqu’on ne remarque généralement pas le moment où une amitié franchit ce point de non-retour. Le journal dont je tourne les pages ne me laisse aucune illusion.
Entre le journal et les lettres, j’éprouve une égale curiosité à lire ce qui ne me semblait pas destiné. C’est peut-être ce qui explique que je tergiverse tant à lancer cette série que je prépare depuis bientôt un an et qui emprunte au journal un rythme fondé sur les saisons, les humeurs et les découvertes. Je n’y traiterai pas d’actualité pas plus que je n’y allumerai d’incendie, j’en fais le serment.
Je me suis souvent dit, au cours des derniers mois, que ce journal me servait de prétexte pour ne pas poursuivre le roman dont j’ai à peu près abandonné le chantier. J’avais tout faux. Aujourd’hui, je le vois comme un maillon indispensable à la réalisation du roman. À l’instar des journaux que je lis, le mien m’a permis de mettre un point (d’orgue) à Un mercredi comme les autres avant de plonger dans Les prisonniers, titre de travail de ce projet excitant que je porte depuis quelques années. En attendant, me voilà prête à ouvrir mon journal de l’année qui s’achève.
Me suivrez-vous?
J’ai aimé
Heidi Julavits, The Folded Clock — A Diary (Doubleday)
Cette quarantenaire new-yorkaise, auteure de plusieurs romans, réfléchit sur l’âge, le métier d’écrivain, la célébrité, l’amitié et la vie en général et en particulier.
Comme dans une vraie de vraie relation, j’ai trouvé un plaisir croissant à la lire, si bien que je devrai revenir sur la première moitié de son journal. Les entrées présentées dans le désordre sont tantôt graves, tantôt franchement drôles. Et à l’image d’une relation, l’intimité et la familiarité grandissantes ajoutent une couche de connivence entre l’auteure et le lecteur (sans doute surtout des lectrices). J’ai trouvé dans ses pages un trait fort du journal : des échappées sur l’enfance, sur d’absurdes erreurs d’interprétation, sur la carrière et les malentendus que vivent tous les couples. Heidi Julavits m’a grandement inspirée au cours de la dernière année.
Carl Bergeron, Voir le monde avec un chapeau (Boréal)
Échelonné sur un an, lui aussi, le journal de Carl Bergeron est touchant à plus d’un titre. Je me suis trouvé d’indéniables affinités avec ce snob assumé, intellectuel torturé et brillant conteur capable d’autodérision. Je ne prétends pas être ceci ou cela (quoique snob, mhmmm), et j’ai roulé des yeux autant que j’ai ri et grimacé durant cette année racontée par l’auteur, digne représentant du Plateau Mont-Royal. Quiconque se gratte à la seule mention de cet arrondissement trouvera un malin plaisir à lire Bergeron, qui joue sans ménagement la carte du Plateaupithèque bon teint. J’ai conçu pour Bergeron une espèce de respect teinté d’irritation. Les billets qu’il consacre à ses parents et au Québec demeurent les plus touchants.
Jean-François Beauchemin sur Facebook
J’ai une affection immodérée pour la prose de Jean-François Beauchemin. Ceci est mon corps(Québec-Amérique) constitue l’une des plus belles choses qu’il m’ait été donné de découvrir. Entre ses ouvrages officiels, je trouve un égal plaisir à lire sur Facebook ses billets qui, mis bout à bout, font presque office de journal, comme ceux dans lesquels j’aime plonger. Contrairement à Beauchemin et à de nombreux autres abonnés de Facebook, cependant, je répugne à m’épancher sur le réseau de Zuckerberg. À tort ou à raison, j’ai l’impression que mes réflexions m’appartiennent davantage sur ce blogue.
Sur ma table de chevet
Jean McNeil, Ice Diaries: An Antarctic memoir
Auteure en résidence auprès du British Antarctic Survey, un groupe de recherche scientifique, Jean McNeil a vécu quatre mois en Antarctique, puis a visité d’autres contrées frisquettes, dont le Groenland et l’Islande. Parce que l’Antarctique m’apparaît comme une version glacée de l’enfer, j’ai eu envie de lire ce récit. Le compte-rendu qu’en fait le Globe and Mail m’a ouvert l’appétit. J’en suis encore aux premiers stades de ma relation avec McNeil. Mais puisqu’elle est originaire du Cap Breton, sûrement, le froid (et même le fret) fait partie de son ADN; nous avons déjà un point commun.
Photo d’ouverture: Fredrik Rubensson, Creative Commons
Une réflexion sur “Un jour à la fois”