J’ai donc fait, dimanche dernier, un 18e concert avec l’Ensemble vocal Katimavik. Dix-huit concerts en 16 ans de fréquentations, soit une production par année, sauf exception. Si, dans cet ensemble, l’unique concert annuel est un objectif toujours ambitieux, il sert aussi de prétexte à ses membres pour se réunir tous les mardis, quelques dimanches et durant deux fins de semaine intensives de l’année.
Il faut tout ce temps pour apprivoiser, maîtriser puis interpréter un programme musical qui, au fil des années, ne s’est jamais répété.
Au terme de l’année chorale, nous présentons le fruit des dix derniers mois en compagnie d’un orchestre plus ou moins imposant, selon les impératifs de la partition et du chef. La somme de ces dix mois de travail est forcément mémorable à entendre et à voir. Je me souviens qu’au lendemain d’une performance, une connaissance qui avait assisté au concert s’était étonnée du lien quasi suspect, à l’entendre, qui semblait unir les choristes et leur chef. «C’est une longue histoire», ai-je dit.
Contrairement à ce que vivent peut-être les artistes professionnels qui enchaînent les performances scéniques, le choriste amateur voit le concert annuel comme le climax d’une lente ascension vers l’extase.
Le chœur emprunte à la famille et à la société en général, ses exigences, ses vicissitudes et ses élans d’amour, d’affection et de colère.
Les premiers mois d’apprentissage laborieux, parfois rebutant, viennent à bout des tièdes, des hésitants et des recrues ayant sous-estimé l’engagement qu’exige un chœur de qualité. Après la pause des fêtes, on sait qui sera du voyage jusqu’à la fin malgré les creux de vague, les tempêtes et les mers trop calmes. Car un ensemble vocal traverse tout ça, et bien plus.
Le chœur emprunte à la famille et à la société en général, ses exigences, ses vicissitudes et ses élans d’amour, d’affection et de colère. C’est une formidable école de relations humaines où disparaissent les classes sociales et professionnelles, et les barrières générationnelles ou linguistiques. Chaque choriste y vient avec ses forces, ses nœuds et quelques roches qu’il trimbale dans ses poches et son cœur. Les voix mêlées ne révèlent rien de l’envers de sa médaille ou de celle de son voisin. Il faut, pour en découvrir toute la complexité, tendre l’oreille, laisser le temps exposer des parcelles de vulnérabilité, de grandeur ou de petitesse. Si celle-ci est généralement moins fréquente que celles-là, c’est peut-être parce que chanter en chœur fait de nous de meilleurs humains et console des plus grandes peines. Il le faut pour poursuivre, semaine après semaine, la réalisation d’un ouvrage dont il ne restera rien de tangible au bout de quelques heures, quand un autre jour aura remplacé celui qu’on a espéré, redouté et préparé avec tant de soin.
Pour qui déteste les fins et les départs — j’en suis —, l’achèvement d’une année chorale procure un étrange sentiment de vide, comme un cœur brutalement privé de sang. Le lendemain du concert me laisse comme un chien désemparé dans la maison qu’ont soudainement désertée ses maîtres. Il me faut quelques dizaines d’heures pour retrouver l’équilibre.
Mais puisque de nos jours, rien ne dure, hormis l’éternité, le choriste sait qu’il pourra s’étourdir dans les plaisirs de l’été et les voyages, voire dans les harmonies d’un autre ensemble de passage pour combler le manque. Il lui reste aussi, et surtout, les amitiés nées sur le banc, dans le coude à coude des syncopes et des frottements qui défient l’entendement, dans la solidarité tacite face aux sautes d’humeur du chef, dans la connivence que celui-ci tisse lentement au fil des années et dans les affinités naturelles qui se trouvent sans avoir eu à se chercher. Certains s’épousent même, parfois.
Si chanter — comme le dit joliment, un jour, une alto de ma connaissance — fait oublier les laideurs de la vie, aimer, au singulier comme au pluriel, en rehausse considérablement l’expérience. Et c’est précisément ce que procure le chant choral.
Générale d’O Fortuna, salle Claude-Champagne, 5 juin 2016. Photo : Jay Kearney.
Bien dit!
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Je suis abonnée à votre « blog » et qu’elle coïncidence… je suis du Chœur Radio Ville-Marie… et voilà que l’an prochain, nous serons jumelés. Ce que vous décrivez est tout à fait ce que je vis comme choriste au CRVM et disons que j’ai bien hâte de vous connaître perso. parce que je lis vos billets et j’ai aussi hâte de me joindre à votre groupe vocal. Nous avons également un excellent chef, Simon Fournier, qui deviendra le vôtre l’an prochain et qui peut également avoir quelques sautes d’humeur. Au plaisir !!!
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Merci, Roxane! C’est une belle coïncidence, en effet! Votre anticipation sera cependant déçue puisque j’ai décidé de prendre une pause l’an prochain, pour libérer du temps que je consacrerai à l’écriture, justement! Ma décision était prise bien avant que j’apprenne la venue de Simon Fournier et du CRVM. Je me réjouis cependant d’aller vous entendre l’an prochain! Les échos que j’ai eus du programme sont très tentants!
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