Une journée au centre-ville

Aujourd’hui, je me suis rendue au centre-ville pour une formation en déontologie dans les bureaux de l’ordre professionnel dont j’envisage de devenir membre. Je n’ai pas encore décidé si je paierai les sept cents dollars de cotisation annuelle exigés pour ajouter quelques lettres au bout de mon nom. J’ai fait sans pendant quinze ans; en ai-je vraiment besoin pour les quinze années de pratique qu’il me reste?*

5009355645_4a8444b546_zQuoi qu’il en soit, j’ai repris ce matin un chemin que je n’avais pas emprunté depuis vingt-deux ans, soit celui des salariés qui pointent à neuf heures au centre-ville de Montréal. Le trajet en métro m’a rappelé ma jeune époque de collaboration à Elle Québec, quand je descendais à McGill et prenais l’ascenseur jusqu’au neuvième étage du 2001, University. J’ai fait douze mois de ce régime avant qu’une «nouvelle administration» me remette mon quatre pour cent et un mois de salaire pour que j’aille me faire voir ailleurs. Ce jour de novembre mille neuf cent quatre-vingt-quinze, j’ai déployé mes ailes et pris mon envol en tant que travailleuse autonome. Jamais je ne l’ai regretté, même durant les passages difficiles. (Remarquez qu’avec l’âge, le travailleur autonome devient plus frileux, à tout le moins plus conscient de sa mortalité et de tout ce qui risque de lui valoir une niche dans un columbarium. Quand une vieille amie aussi farouchement autonome que moi m’a annoncé, récemment, qu’elle venait d’intégrer avec bonheur le royaume des salariés, je l’ai presque enviée.)

Bref, ce matin, en sortant sur le quai de la station McGill, j’ai été désarçonnée par le peu d’animation qui y régnait, par l’enseigne du 2020, Robert-Bourassa (qui a remplacé University depuis 2015) et par le micro-comptoir bancaire installé à l’étage des magasins. À huit heures trente-cinq, les deux pauvres caissières et le gardien de sécurité affalés sur leur tabouret respectif affichaient des têtes de condamnés. Si je devais tirer sept heures par jour assise derrière un comptoir bancaire désert du niveau métro, je n’en mènerais sans doute pas plus large.

Arrivée sur le trottoir de la rue Union, j’ai été momentanément désorientée. Une habituée du secteur m’a contournée comme elle l’aurait fait d’une colonne Morris apparue pendant la nuit. J’ai marché jusqu’au Starshit, au coin de Président-Kennedy, pour commander un café au lait de soya. En déboursant les 5,79 $ que m’en demandait l’«associé», je me suis fait une note mentale de calculer le magot que j’ai économisé en vingt-deux ans de travail à domicile.**

Pendant qu’un avocat de McCarthy Thétrault essayait tant bien que mal d’intéresser la quarantaine d’aspirants traducteurs agréés assis devant lui, j’ai maintes fois observé un type assis à peu près au même étage que nous, dans la tour d’en face. J’espérais le surprendre à dormir sur son clavier, à faire des salutations au soleil ou à danser sur des «rythmes barbares» pour se vider la tête. Je me suis revue dans ce bureau, vingt-quatre ans plus tôt, aussi heureuse qu’un propriétaire de Rigaud en mai 2017. À moi, du moins, certaines choses arrivent pour le mieux.

Une formation rasoir, un lunch expédié dans une foire alimentaire cacophonique et une alarme d’incendie plus tard, je me suis retrouvée sur un trottoir de mon quartier, à dix-sept heure trente, en route vers mon sanctuaire, mon homme et ma vie. Je me suis dit que si je travaillais à salaire, je serais peut-être plus riche et plus mince — on marche beaucoup quand on utilise le transport en commun — mais certainement moins heureuse.

 

 

*J’ai fini par céder.

** Environ 28 660 $.  🙂

Photo: Peter Blanchard.

2 réflexions sur “Une journée au centre-ville

  1. Salut Johanne,

    Merci pour ton article ! En ce petit matin de découragement, il me redonne du courage J

    J’aurais voulu le «liker» mais on me demande d’être abonnée à Word Press ?

    Passe une belle journée dans ton sanctuaire avec ton homme et un bon café!

    Isa

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