Forcer à quitter

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Aujourd’hui, j’ai constaté la grande impuissance de l’ourse moyenne devant ce qui lui apparaît comme une énigme technologique. Le vingt-et-unième siècle nous aura procuré cela : une panne d’électricité, une rupture de signal Internet ou un grain virtuel dans la bonne marche du quotidien suffit pour mesurer notre redoutable dépendance aux technologies, dans le sens le plus large du terme.

Depuis trois ans, l’induction — ce principe électromagnétique qui me mystifie — ne me permet plus, advenant un grille-pain hors d’usage, de faire griller du pain à l’aide d’un cintre déposé sur l’élément de la cuisinière. C’est que l’élément, fier descendant du bon vieux rond de poêle de nos arrière-grand-mères, est en train de disparaître à son tour au profit de tables de cuisson lisses comme patinoires et hermétiques à toute solution de dépannage lorsque survient une panne. Après avoir coupé et rétabli le disjoncteur, il ne reste plus qu’à téléphoner à un technicien que l’on espère honnête.

Je partage désormais mes heures de lecture entre le livre broché et la liseuse électronique. Je ne pourrais plus renoncer à cette fantastique invention qui permet de tenir d’une main indolente des briques de huit-cents pages et de lire au lit jusqu’aux petites heures du matin sans tendinite ni torticolis. Bien qu’elle ne remplace pas le plaisir de parcourir les rayons d’une librairie ni celui de plonger son nez dans les pages jaunies d’un livre mille fois emprunté, lu et aimé, la possibilité de télécharger et de retourner des livres sans sortir de chez soi m’émerveille sans bon sens.

Mon ravissement est au moins égal à ma frustration lorsque mon joujou cesse de fonctionner au doigt et à l’œil. Le fox-terrier n’est pas plus déboussolé par le départ de son maître que je le suis lorsque mes livres refusent d’apparaître à l’écran de ma liseuse. Hé, ho! Pourquoi ? J’ai tout fait comme d’habitude. Je. Veux. Mon. Livre. Maintenant.

Au bout du compte, ce précieux temps que j’ai gagné en empruntant et retournant des livres à distance ou en accomplissant toute autre chose grâce à Internet, je peux le consacrer à réinstaller l’application, à chercher des réponses dans les forums et les foires aux questions et à m’emporter contre mon beau qui essaie de compatir en ne réussissant qu’à m’énerver. Ne me reste plus qu’à poireauter au téléphone durant un long « moment d’attente bien involontaire de notre part  » jusqu’à ce qu’un dénommé Aran vivant à l’autre bout de la planète cherche avec moi pendant quelques minutes ou une couple d’heures la ligne de code ou la mise à jour manquante. Au terme d’une démarche aussi exaspérante qu’absconse pour la plupart des gens, je dois encore me farcir une version « améliorée » de ce qui fonctionnait jusque là parfaitement. Et on se demande pourquoi les gens sont violents.  t-rex

Les technologies et l’obsolescence programmée imposent un perfectionnement continu à quiconque embrasse les nouvelles technologies. Même les petits caractères des modes d’emploi téléchargeables en format PDF ne pipent mot de ce pacte que nous faisons, au moment de la transaction : l’obligation d’apprendre, de chercher, de comprendre le progrès pour éviter d’en être éjecté et de finir au site d’enfouissement avec les ronds de poêle, les téléphones filaires, les magnétophones et les pousse-mines.

Quand, vraiment, j’en ai assez, il ne me reste plus qu’une chose à faire: ouvrir un livre et humer le parfum des années sur la fibre de papier.

 

4 réflexions sur “Forcer à quitter

  1. J’apprécie au plus haut point ton commentaire, moi qui ai encore des allures misérables de dinosaure devant une technologie trop pointue et «évolutive» pour ma petite personne.

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  2. Ha! Je t’imagine, tapant allègrement chaque mot suivi d’un point rageur et impatient!
    Et j’ai failli t’écrire en privé pour te dire que ta première image ne s’était pas téléchargée correctement, AVANT de lire ton texte, évidemment!

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  3. Ton texte est très juste et tu aurais pu ajouter plusieurs étapes de frustration dans les gestes posés par l’utilisateur moyen des TIC. Et ensuite est-on vraiment surpris de voir augmenter les problèmes d’hypertension artérielle et les maladies cardiaques?

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