Beatrice Labrash, 1938-2015

En 1975, dans le Québec francophone, les fillettes connaissaient généralement deux Betty : il y avait Betty Crocker, qui régnait dans les garde-manger de nos mères, et Betty Cooper, l’amie de Veronica Lodge et d’Archie. Pour nous, les Betty étaient des personnes exotiques, qui venaient de loin et qui incarnaient tout le féminin de l’époque.

J’avais la chance d’en connaître une troisième qui, en plus, était ma marraine. Elle s’appelait Betty Labrash. Dans ma classe de sixième année B, croyez-moi, ça en jetait.

Betty, ma tante Betty, représentait pour moi tout ce que ma mère – que j’aime tendrement – n’était pas. D’abord, elle était rare. On voyait les cousins Ducharme une ou deux fois par année, dans le temps des fêtes et, à l’occasion, l’été, autour de leur belle piscine de la rue Prieur, à Saint-Vincent-de-Paul, devenue Laval.

Betty était glamour. Elle portait ses cheveux blonds gonflés. Dans mon souvenir, elle les portait haut, comme un statement. C’était la seule femme blonde de toute la parenté. Et bien sûr, comme on ne la voyait qu’à Noël et l’été autour de la piscine, elle portait ses cheveux blonds avec un bel ensemble festif ou avec des verres fumés et un maillot de bain. Entre ses doigts aux ongles laqués, sa cigarette semblait meilleure que celle des autres. Ce n’était pas elle, la célébrité de la famille, mais elle avait certainement la tête et le physique de l’emploi.

Betty débordait d’énergie. Le 25 décembre, quand les Ducharme arrivaient bons derniers à la maison parce qu’Yvan s’était perdu en chemin (comme chaque année), mes cousines affichaient l’air blasé de tous les ados du monde, Yvan avait l’air à bout, et Betty? Betty souriait. Alors qu’Yvan avait besoin de longues minutes pour retrouver son calme, Betty était toute à sa joie d’avoir surmonté l’épreuve. Je soupçonne que c’était un trait caractéristique de Betty : les épreuves, petites ou grandes, étaient faites pour être surmontées, et il n’y avait pas de quoi en faire un plat.

Betty était sûre d’elle. Quand on allait chez les Ducharme, Betty régnait. Je ne pourrais dire à quoi tient ce souvenir, mais elle régnait. Elle parlait avec assurance. Elle répondait sans tourner autour du pot. Elle ne nous parlait pas comme on parle à des enfants. Comme on aimait aller chez eux au jour de l’An! On mangeait du Poulet frit Kentucky! Et puis Betty faisait des boules au chocolat et à la noix de coco!

Quand Yvan et Betty se sont séparés, j’ai perdu ma tante de vue. Mes cousines aussi. Je crois bien que 30 ans ont passé depuis. Et parce que même les malheurs apportent du bon, le décès d’Yvan nous a fait renouer avec mes cousines Roxanne et Carole. Noël dernier, Roxanne est venue réveillonner avec les Tremblay. Elle est arrivée à la maison de mes parents, sans se perdre, les bras chargés de paquets. Et dans l’un d’eux, il y avait les boules au chocolat et à la noix de coco de Betty. Les boules à Betty!

En 2013, à la fête des Mères, Carole a publié sur sa page Facebook un montage photo de Betty que Roxanne avait fait. Sur la plus récente des photos, j’ai mis un instant à reconnaître Betty, à 75 ans. Si les années l’avaient vieillie, elle aussi, c’était bien ma tante Betty, avec ses cheveux blonds coiffés, sa tenue du dimanche et son sourire espiègle, comme si elle était toujours prête à entendre une bonne blague. Assise près de la belle piscine de la rue Prieur, un verre de vin à la main, elle fait Cheers! à l’objectif.

Cheers to you too, Betty!

Photo : Roxanne Ducharme
Photo : Roxanne Ducharme

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